Go Fenix est une application développée en Bubble, un outil NoCode. Cette semaine, nous avons le plaisir d'interviewer Thibault Marty, fondateur d'Ottho, un organisme de formation à la programmation NoCode. Thibault Marty, fondateur d'Ottho, nous partage sa vision du NoCode, comme vecteur d'inclusion dans la tech, en libérant la création et en rendant la filière plus accessible aux femmes, tout en partageant les défis auquel ce nouveau secteur fait face pour se structurer.
Peux-tu te présenter et expliquer ce que tu fais ?
Je suis le fondateur d’Ottho, une école de formation à la programmation NoCode. Le NoCode, c’est la maîtrise de certains outils proches du développement informatique. Aujourd’hui, on atteint bientôt les 500 élèves. On a principalement formé sur Bubble et on a la plus grosse communauté Discord au monde, avec plus de 1500 Bubblers, qui sont à disposition sur la plateforme, et qu’on accompagne d’un niveau zéro, sans pré-requis, jusqu’à l’expertise. L’objectif à terme est d’ouvrir une vraie école physique.
Peux-tu nous en dire plus sur le NoCode? Quelles sont les principales technologies ?
Le NoCode modulaire
De manière globale, il y a deux philosophies en NoCode: une modulaire, avec des outils plus petits qui vont effectuer une action bien précise. Par exemple, Typeform va permettre de créer des formulaires, Webflow va permettre de faire des sites plutôt statiques, Airtable va permettre de faire des bases de données. En modulaire, ce que l’on fait souvent, c’est de connecter les trois, pour avoir le meilleur de chaque outil.
Le NoCode intégré
A l’inverse, on a des outils plus gros et plus intégrés, tels que Bubble, qui permettent de tout faire au même endroit. Par rapport à l’exemple que j’ai donné, on peut réaliser les formulaires, les sites et les bases de données avec Bubble. C’est plus puissant, mais par contre c’est plus complexe. Ainsi, ce qu’on gagne en puissance, on le perd en accessibilité.
A haut niveau, les différences sont un peu moins claires. On s’aperçoit qu’avec Bubble, on peut faire aussi beaucoup de modulaire, en connectant avec d’autres outils. Mais de manière simple, les outils modulaires ça s’apprend plus facilement et plus vite que les outils complexes et intégrés comme Bubble.
On voit beaucoup de freelances et d’agences en NoCode, mais peu d’offres de recrutement dans les entreprises. Qu’en penses-tu ?
Structurellement, on est sur un marché qui démarre, et donc les normes de ce métier n’existent pas encore vraiment. Par exemple, si on cherche “NoCode” sur Welcome To The Jungle, on va trouver 300 offres différentes, avec des titres différents tels que NoCode Maker, NoCode Engineer, NoCode Développeur... En fait, il n’y a pas de grande bannière du NoCode, car il y a presque autant d’outils que de façons et de personnes qui font du NoCode. Ça complexifie énormément, pour les recruteurs, le fait de nommer correctement les postes et de déterminer ce que les gens vont vraiment faire derrière. C’est comme si je te propose une offre d’emploi de codeur, mais je ne te dis pas quel langage je recherche.
Pour moi, comme c’est un nouveau marché, les gens y vont avec moins de prise de risque : on va soit trouver des offres plus larges qui intègrent des missions connexes, par exemple chercher un développeur qui fait un peu de NoCode, soit les appellations ne sont pas les bonnes, soit les entreprises préfèrent recruter en freelance pour le moment. Au final, ce n’est pas tellement que les entreprises sont en retard sur le sujet du NoCode, c’est simplement le cas d’un marché qui est nouveau, dont les normes n’ont pas encore été posées.
La place des femmes dans la tech est notoirement faible. En quoi le NoCode peut être un vecteur de féminisation de ces métiers?
Je suis intervenu au Web2Day il y a 3 semaines, et c’était mon sujet: “rendre la tech plus inclusive avec le NoCode”. La première chose, c’est qu’il y a peu de femmes dans la tech car elles ont été virées du secteur: en 1985, on avait 40% de femmes dans le numérique et dans les années 1990, la filière s’est refermée sur elle-même. Etre développeur, c’est devenu un statut social, en termes de salaire, de pouvoir et de représentation, et c’est ainsi devenu très masculin car c’est un rôle d’importance. De là, il y a une reproduction sociale qui se met en place: 5 ans d’études pour faire Epitech, où tu as beaucoup de garçons, où tu n’as pas de parents femmes qui se sont lancés là-dedans, où la plupart des exemples de réussite dans la tech évoquent des hommes tels qu’Elon Musk ou Jeff Bezos… Cet univers qui est très masculin et la longueur des études constituent des freins importants pour aller dans ces voies-là.
A l’inverse, pour moi le NoCode étant moins un sujet populaire au niveau du statut, on prend des profils qui ne sont pas élitistes et qui ne se dirigent pas forcément vers le métier de développeur. Et comme les études sont plus courtes, typiquement 3 mois, la barrière à l’entrée est moins élevée. On va se retrouver avec des personnes moins marquées du moule développeur.
L'importance des mentors femmes
Si on fait former plus de femmes, on peut aussi avoir plus de référentes, qui deviennent ensuite formatrices. Nous, on est passés de 20% à 40% de femmes en employant des mentors femmes, en mettant plus en avant les femmes dans notre milieu. Dans notre boîte, il y a plus de 60% de femmes. Ca, ça donne envie, surtout qu’il y a beaucoup de gens qui veulent juste créer leur projet en NoCode, et ça, ça ne touche pas uniquement que les hommes.
Après, on peut toujours faire plus, mais je pense que le NoCode apporte une réponse beaucoup plus fiable pour amener des personnes qui n’ont pas de bagage technique vers la tech, et contourner les freins du type “je ne suis pas bonne en maths, donc je ne m’oriente pas vers le code”. C’est un préjugé qui reste fort. Moi j’ai été formateur chez Epitech: j’ai vu qu’il y a 40 garçons pour 3 nanas. Ca fait une ambiance compliquée pour les femmes, avec des vannes toute la journée. Je te donne un exemple, mais en école d’ingé, tous les garçons ne se lavent pas à 100%, ça sent un peu dans les classes! A l’inverse, une fille qui ne se maquille pas une journée, elle va se prendre des réflexions. Je le sais parce que je l’ai vécu! Ca, on l’ignore, on ne se rend pas compte à quel point dans ce genre d’univers, c’est dur de s’accrocher et de réussir. Sur ce vaste sujet, je recommande un livre, qui s’intitule “Les oubliées du numérique”, d’Isabelle Collet. C’est hyper intéressant!
Comment vois-tu évoluer le NoCode dans les 10 prochaines années?
Personnellement, je me bats pour créer de nouveaux métiers. Il y a l'élitisme tech qui fait qu’aujourd’hui, si tu crées une application, si elle n’a pas vocation à être rentable, tu ne peux pas te lancer. Un exemple: j’ai créé une application pour mon fils handicapé, sans vocation à être rentable, mais qui apporte un bien-être dans nos vies. Sans le NoCode, ça aurait été impossible! Toutes les entreprises qui dépendent de la tech sont bloquées par le coût financier, car aujourd’hui, un développeur ou une agence, c’est très cher.
Je pense qu’avec le NoCode, toute personne pourra créer ses applications, avec des technologies modulaires ou intégrées. Aujourd’hui, ça permet de le faire plus rapidement et sur des solutions qui n’ont pas besoin de code pour être complètes. Ces nouvelles formes de développement vont permettre à des startups de se lancer beaucoup plus rapidement sur le marché.
Le potentiel du NoCode en Afrique
Ca présente aussi l’avantage, et non des moindres, de pouvoir toucher des pays qui n’ont pas les mêmes marges financières et les capacités à développer que la France. En France, on a des aides à l’éducation, mais ce n’est pas le cas de beaucoup de pays dans le monde. En Afrique, on n’a pas d’instances pour développer ses compétences en code, à part en e-learning de son côté. En proposant des formations plus courtes, on permet à beaucoup de gens de pouvoir s’émanciper totalement du code pour créer des applications: pour leur asso, leur entreprise, ou même pour en vivre…
Je pense que le NoCode dans le futur va renverser certains élitismes des pays riches et de redistribuer les cartes de la création. A l’heure où l’on parle de “startup nation”, ce n’est pas normal qu’on dépende encore de la tech, alors qu’on sort de 10 ans de lean startup et de prototypage accéléré. Le NoCode, pour moi, c’est la suite logique. A l’époque, il y a eu un Wordpress pour la création de sites web, et de même il y aura un Bubble pour la création d’applications.
Je pense que toute personne pourra faire du Bubble dans le futur sans que cela empiète sur le boulot des développeurs. Aujourd’hui, un développeur HTML/CSS ne dit pas que Wordpress pique son boulot. Demain, je pense que le NoCode modulaire comme Airtable, deviendra une compétence interne à chaque société, un peu comme Google Drive et Google Sheets qui se s’imposent en entreprise comme compétence basique.
Tu viens de lancer une certification en NoCode. Peux-tu nous en dire plus ?
Attention sur le mot certification! En France, ça correspond à une norme spécifique, liée à un diplôme. Nous, on a créé un outil de certification, Certifio, qui permet de savoir son niveau, pour soi et pour les entreprises, et on arrive en beta d’ici juillet. Notre objectif, c’est effectivement d’arriver sur une certification à terme, avec un titre diplômant, qui soit l’équivalent d’un bac + 3 / 4.
Certes, le NoCode est plus facile et plus accessible que le code, mais ma crainte c’est que l’on considère que cela ne requiert pas de règles, de normes et d’apprentissage spécifiques. Or, si on peut apprendre tout seul, ça ne veut pas dire qu’on apprend de la meilleure façon possible! Et c’est là qu'il faut faire attention, car je vois beaucoup d’applications qui sont buggées de manière grave. Je ne parle pas d’applications de site vitrine pour une petite entreprise. Je parle de boîtes qui lèvent des millions, grâce à des applications conçues avec des stagiaires, qui ont de gros bugs techniques et qui nous contactent après pour régler les problèmes.
Aujourd’hui sur 10 levées, tu as au moins 5 levées en NoCode. On ne peut plus “déconner” comme avant, avec un sujet facile et accessible pour tous. Pour moi, le NoCode a vraiment gagné ses titres de noblesse et sa crédibilité sur le marché.
Quels sont tes conseils pour les personnes qui souhaiteraient se lancer dans le NoCode en 2022 ?
Il y a plein d’outils, modulaires et intégrés. Je pense que c’est beaucoup plus facile de commencer par quelques outils pour comprendre les bases, comme Airtable ou Glide qui se prennent vite en main, avant de passer sur de plus gros outils. Vous avez internet qui regorge de ressources disponibles gratuitement. Si vous avez trouvé l’outil que vous souhaitiez apprendre, autant dans les possibilités que dans l’usage qui vous plait, ce que je vous conseille c’est de vous former. Bien sûr, je ne dis pas ça pour tous les outils, certains sont clé en main. Mais en tout cas du côté de Bubble, on remarque que les personnes qui se forment vont beaucoup plus vite et se font payer plus cher parce qu’il y a une logique aussi de reconnaissance de niveau. Aujourd'hui c’est compliqué de prouver quel niveau on a quand on s’est formé tout seul.
La formation est un investissement sur soi, mais ça ne veut pas dire que vous ne pouvez pas commencer par vous-même, pour tester si ça nous plait. N’arrivez pas en formation juste parce que vous avez pu la payer avec votre CPF, car ça demandera plus de motivation que vous ne le pensez. On est sur des sujets de développement informatique, même si c’est visuel. Pour certaines personnes, ça va être douloureux d’aller dans ces logiques-là. Au demeurant, je considère que tout le monde peut se mettre au NoCode, mais ça ne veut pas dire que tout le monde va devenir développeur Bubble demain.