Erwan Kezzar est un serial entrepreneur qui a co-fondé plusieurs boîtes ou associations à son actif, telles que Contournement, Simplon.co, No-Code France et No-Code for Good. Dans cet entretien, il nous parle de sa vision du no-code, et de la valeur que cela apporte pour être acteur plutôt que consommateur du numérique.
Peux-tu te présenter et nous expliquer pourquoi tu as fondé Contournement ?
Je suis le cofondateur de Contournement, chez qui on forme aux outils no-code. Ma vision entrepreneuriale, ça a toujours été d'identifier les technologies les plus accessibles, qui permettent aux gens les moins techniques de faire les projets les plus avancés. Ca, je le fais aujourd'hui avec Contournement et avant, je l'ai fait dans plusieurs entreprises ou associations que j'ai co-fondées, dont Simplon en 2013, qui est devenu le plus gros réseau au monde d'écoles de code informatique solidaire et gratuit. A l'époque, quand il n'y avait pas de no-code , nous avions identifié les langages de code les plus accessibles pour les enseigner. Aujourd'hui, cette démocratisation des moyens de production numérique, c'est avec le no-code qu'on le pousse.
Si j'ai monté Contournement, c'est pour plusieurs raisons. D'abord parce que créer des sites, des applis et des outils numériques, c'est super stratégique aujourd'hui. J'ai fait mon premier site avec un outil no-code dans la toute première boîte que j'ai lancée, quand j'étais tout jeune une agence web en 2009, et je trouvais ça super d'avoir des outils qui permettaient de faciliter la tâche, d'aller plus vite et de donner accès à des personnes non techniques de faire ce genre de choses.
Deuxièmement, quand j'identifie une injustice, quelque chose d'illogique ou un irritant qui pourrait être résolu par un projet, j'ai toujours envie de m'y attaquer. Je pense que c'est un peu le drive de l'entrepreneur social. Mais ce qui m'anime encore plus, c'est quand je vois un projet qui défonce tout, mais qu'au niveau numérique, il manque un truc pour exploser. Par exemple, avec Banlieues Santé lors du premier confinement : c'est une asso que j'ai aidée en leur donnant une appli mobile qui a démultiplié leur impact et leur a permis d'aider des gens, voire peut-être même de sauver des vies. Ça, c'est un très bon exemple d'un projet qui a explosé grâce à la petite touche numérique que le no-code m'a permis de développer en une demi-journée.
Enfin, je vois plein de projets superbes où les gens passent leur temps à faire des tâches répétitives, avec des outils à l'ancienne. C'est moins l'aspect "je lance mon produit" mais plutôt "je me crée mes outils internes". C'est ce qu'on appelle, les "no-code ops" : c'est-à-dire optimiser les opérations numériques au quotidien par l'automatisation. Par exemple, en remplaçant Excel par des super outils comme Airtable. L'idée, c'est que les gens passent moins de temps à travailler à la place de la machine. Ça leur enlève de la charge mentale, et ça leur permet de bosser sur des trucs plus intéressants, à plus forte valeur ajoutée. Je vois un vrai côté émancipateur dans ces technos-là : être acteur et producteur du numérique plutôt que d'en être pur consommateur. Cet aspect-là d'hygiène numérique et de reprise de pouvoir est très important pour nous.
Tu as parlé de "no-code ops". Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?
Les no-code ops, ce n'est pas nous qui avons inventé le terme. C'est un mot qui apparaît petit à petit dans la communauté du no-code : on voit souvent le mot ops derrière pas mal de choses, genre "Biz Ops", "Marketing Ops", "DevOps" (même si c'est un truc très précis). Souvent, c'est de penser comment organiser les opérations de telle ou telle discipline. Et les no-code Ops, c'est plutôt de penser comment faire fonctionner et fluidifier ces opérations grâce au no-code.
Chez Contournement, on pousse cette approche, parce que souvent, les gens se disent "le no-code, c'est génial : je lance mon appli et je vais faire un Airbnb-bis", alors que ce n'est pas que ça. Les no-code Ops, c'est même surtout la partie immergée de l'iceberg : tout le monde travaille avec des outils numériques au quotidien, des téléphones, des ordis et même dans sa vie perso, et on perd chacun des centaines d'heures par an, à faire des manipulations bêtes.
Chez Contournement, on forme sur les outils les plus accessibles et démocratiques, car il y a aussi des outils no-code qui requièrent plusieurs semaines d'apprentissage. Avec Zapier, Artable ou Notion, en quelques jours ou voire en quelques heures, on peut déjà faire des trucs, et après on peut les entre-combiner pour faire des no-code Ops.
Ce n'est pas généralisé, mais on voit beaucoup de boîtes où Notion commence à remplacer Word ou Google Docs et où Airtable remplace Excel ou Google Sheets, car ce sont des outils tellement mieux conçus. Ça peut être aussi utilisé comme de la bureautique contemporaine. Notion est structuré comme le web est structuré avec des pages, des sous-pages. C'est ce qui se rapproche le plus de la feuille de papier, tout en étant hyper informatique. Et Airtable, c'est fait pour gérer des données, alors qu'Excel, c'est fait pour gérer des chiffres. A chaque fois qu'on utilise Excel pour lister des gens, des produits, des événements, ou des tâches, c'est à contre-emploi. Et Airtable a réussi ce tour de force de faire une base de donnée avec une interface intuitive et pertinente.
Quelles sont les qualités des personnes qui réussissent dans le no-code ?
Depuis le début de Contournement, on se rend compte que les profils sont hyper variés. Parmi les gens qui suivent nos formations, il y a ceux qui veulent monter leur boite, faire du freelance, des salariés en grandes ou petites entreprises, des dirigeants, des étudiants, des chômeurs qui veulent se reconvertir, il y a vraiment de tout. Et du coup, les qualités ne vont pas toujours être les mêmes.
Je dirais quand même que l'une des premières qualités, c'est de savoir s'y mettre. Parce qu'il y a plein de gens qui pensent que le no-code est cool, et qui vont lire des trucs et regarder des vidéos. Mais avec le no-code on n'a pas d'excuse : les outils ont tous une version gratuite, ils sont accessibles et il y a des contenus gratuits partout (notamment notre formation gratuite), qui permettent de mettre en pratique dès la première heure. Donc, il y a ceux qui veulent et ceux qui font, c'est le côté "achiever".
Deuxièmement, il y a le sens de la productivité, de l'efficacité et de la logique. Il y a des gens qui sont ancrés dans leurs habitudes de travail, et il y a des gens qui aiment résoudre des problèmes, et qui aiment quand ça s'améliore. Bien sûr, nous avons des profils techniques dans nos formations, mais on a aussi beaucoup de gens qui galèrent simplement au quotidien avec leurs outils : ça peut être des commerciaux, des chefs de projet ou des secrétaires, qui sont là pour changer leurs méthodes de travail.
Et enfin, c'est de savoir être autonome, pour savoir chercher un minimum et trouver des solutions. Parce que souvent, en no-code, comme dans le code et beaucoup d'autres domaines, on va se tromper, chercher, tester, échouer et réessayer. Le côté persévérance me paraît hyper essentiel.
Quels sont tes conseils pour les personnes qui souhaitent se lancer dans le no-code ?
Premièrement, c'est de s'initier avec les ressources gratuites qui existent, telles que notre chaîne YouTube, ou nos formations d'initiation gratuites. Déjà, en 4 heures, on change de monde. Pour nous, il doit y avoir un avant et un après dans la formation : on a pris des compétences ou alors peut-être on découvre qu'on ne veut pas s'y mettre. Notre formation gratuite c'est pour que les gens n'aient pas d'excuses, et que ce soit vraiment démocratique, même au-delà des questions de prix.
Je recommande aussi de rejoindre le Slack No-Code France. C'est une communauté qu'on a lancée avec mon associé, qui était la communauté Contournement et qu'on a léguée au collectif, sous forme d'association publique. Il y a beaucoup de gens pour s'entraider et pour orienter.
Ensuite, pour progresser, je conseille de faire un premier projet, en allant sur la plateforme No-Code for Good, que j'ai co-fondée aussi. C'est une plateforme où on peut faire son premier projet en donnant un coup de main à une asso qui a besoin d'un site, d'automatiser des trucs ou d'une base de données pour gérer ses bénévoles.
Et enfin, je conseille de ne pas être trop ambitieux. Il y a beaucoup de gens qui se disent qu'ils vont faire directement du Bubble. Bubble, c'est très bien comme outil, mais c'est un outil expert. Je recommande de commencer par un outil accessible, puis d'évoluer vers un outil plus costaud. Souvent les gens ont surtout besoin de faire un peu d'Airtable et de Zapier pour concevoir un skateboard, qui deviendra une trottinette, qui deviendra un vélo. Mais si on veut faire tout de suite une grosse voiture avec du Bubble, c'est le meilleur moyen d'abandonner.