A 40 ans, Frédéric s'est reconverti de développeur à data scientist. Il nous raconte comment il a choisi sa voie entre la cybersécurité et la data science, et les difficultés auxquelles il a fait face après sa formation pour trouver son 1er emploi.
Transcription :
Est-ce que tu pourrais commencer par te présenter et présenter ton parcours ?
Oui, je m'appelle Frédéric. Je travaille aujourd'hui dans le marketing digital par affiliation. Je suis data scientist, je m'occupe des solutions de machine learning et d'intelligence artificielle. Comment est-ce que j'en suis arrivé là vraiment ? Mon parcours, très certainement, est différent d'un parcours traditionnel classique qu'on pourrait trouver en France. D'une part, parce que j'habite en Angleterre, dans un pays libéral et donc les parcours sont en général plus ouverts. Et d'autre part, parce que j'ai choisi des voies totalement différentes. J'ai commencé mon parcours il y a une trentaine d'années, ça va donner mon âge certainement... J'ai fait des études en économie-finance, mais très tôt dans ma carrière, je me suis lancé dans le développement informatique. J'ai passé les entretiens, j'ai été accepté dans une grande banque d'investissement qui a utilisé mes connaissances en finance initialement et qui m'a appris le métier de développeur. Mais je me suis aperçu assez rapidement qu'il fallait que j'apprenne les vraies bases de développement. Et j'ai fait des études, un master en informatique qui m'a pris 5 ans à temps partiel. Et je suis arrivé à un point, après 15 ans de carrière dans la banque, où je me suis posé la question « Qu'est-ce qui va m'arriver ? »
J'avais 40 ans à peu près et je trouvais que mon salaire était élevé, étant développeur à Londres, et si on me comparait au niveau international, quelle était la valeur pour l'entreprise de me payer moi par rapport à ma productivité, comparée par exemple à un Indien, Pakistanais ou un bien à des ressources en Pologne, dans les pays de l'Est, qui sont toutes de très, très bonne qualité à coût réduit ?
Donc, en fait, je me retrouvais dans une logique presque d'ouvrier de chaîne dans une entreprise. Bien que j'étais ingénieur, mais c'est la même logique parce qu'on se retrouve sur une logique de prix international. Et à partir de là, je me suis dit il va falloir que je sorte d'un métier à coût dans l'entreprise, vers un métier à profit. J'avais 2 voies qui étaient à peu près ouvertes à moi, peut-être plus, mais enfin, je m'étais vraiment focalisé sur 2, c'était la cybersécurité et la data science. Alors, mon projet a pris à peu près 2 ans à mûrir.
Et par le truchement de mes connexions, j'ai réussi à rencontrer une personne assez haut placée en cyber-informatique à Londres, dans un grand cabinet de conseil. On a passé une heure à discuter de ma carrière et j'en suis arrivé à la conclusion que même si c'était un champ qui était très intéressant, ce n'était pas pour moi. Certainement pour beaucoup d'autres, mais pas pour moi. Et donc, ce qui était le plus rapproché avec mes compétences, c'était la data science, parce que ça mélange vraiment plusieurs mondes. Le monde du business, parce qu'il faut être capable de s'exprimer et de trouver des stratégies à des problèmes d'entreprise. Ça mélange l'informatique, parce qu'il faut quand même avoir des connaissances informatiques assez importantes. Et ce qu'il fallait que j'apprenne, c'était la statistique, le machine learning, l'intelligence artificielle. Mais en fait, je n'avais qu'un petit peu de bout à apprendre comparé à tout le reste. Donc, vers 40 ans, je suis retourné à la faculté. J'ai fait un autre master en intelligence artificielle.
Et en fait, j'ai trouvé un job assez rapidement. J'ai rejoint une banque commerciale pendant 3 ans. Ensuite, j'ai commencé à travailler dans les startups et je m'en trouve aujourd'hui dans une forme de startup.
Pour toi, l'impulsion vers la reconversion, ça venait d'un besoin de sécuriser ton avenir ou une envie d'évoluer vers autre chose ?
Oui, disons que naturellement, il aurait fallu que je progresse vers des métiers à responsabilité. Donc, étant développeur, j'avais été chef de projet déjà à l'époque, des choses comme ça, mais j'avais vu très rapidement qu'en fait, manager des hommes, ce n'est pas quelque chose qui m'intéressait. Mais naturellement, dans les entreprises, quand on tombe sur des développeurs qui ont pas mal d'expérience, ce qu'on veut faire, c'est les rendre chef de projet. Et on peut très bien comprendre la logique parce qu'ils ont de la bouteille, ils connaissent tous les petits problèmes qui peuvent arriver sur un projet et par conséquent, ils sont certainement les mieux placés pour les traiter.
Mais ça ne veut pas forcément dire qu'on veuille le faire. La question est toujours là. Et au lieu d'évoluer de manière verticale, je voulais évoluer de manière horizontale. Et il y a des avantages et des inconvénients à faire ça. L'avantage, c'est que ça me plaisait. L'inconvénient, je pourrais peut-être en parler plus tard. Et donc, sauf à ne rien faire, je serais resté développeur et il y avait une chance qu'à cause de ce que je parlais de la compétition internationale, je me retrouve en dehors du marché, vers l'âge de 45-50 ans.
Pour éviter ce problème-là, pour sécuriser, exactement comme tu le disais, pour faire une opération de couverture dans les marchés financiers, j'ai voulu investir dans une technologie émergente à l'époque, qui me permettait comme ça de me retrouver à un niveau relativement compétitif pour suffisamment de temps.
Tu évoquais 2 pistes pour ta reconversion, la cybersécurité et la data science. Est-ce que tu en as considéré d'autres ou tu voulais vraiment rester dans un domaine proche de tes compétences ?
Non, c'était vraiment les 2 qui m'intéressaient plus que je voyais que c'était les 2 les plus émergentes dans les 10 prochaines années. C'est ça que je recherchais.
Et comment tu as identifié que la cybersécurité n'était pas pas pour toi ?
C'est une bonne question. En fait, dans la cybersécurité, il y a peu de programmation, à part à un niveau très élevé, doctoral, mathématicien, pour trouver les nouveaux algorithmes, etc, les clés d'encryption. Mais il y a énormément de connaissances réseaux que je n'avais pas. Je ne suis pas une personne qui a fait du réseau. Donc, il aurait fallu que j'apprenne tout le réseau. Il aurait fallu que je fasse initialement un métier, et ça ne m'intéressait pas plus que ça, parce que je voulais faire beaucoup de programmation. Donc la data science me permettait de faire beaucoup de programmation en base de données, de programmation python pour créer des logiciels qui répondent à un besoin de business.
Tu as mentionné que tu as fait un master pour te reconvertir. Comment ça s'est passé ? Comment était le retour à l'école à 40 ans ?
Super, j'ai adoré. J'ai adoré voir les petits étudiants de 20 ans en train d'essayer de s'organiser [rires], parce que s'il y a bien une chose qu'on apprend lorsqu'on travaille, c'est l'organisation. Donc avant de refaire cette reconversion, je m'étais déjà posé la question « Est-ce que ça vaut le coup de faire un master ? » Parce qu'il y a un coût, surtout dans les pays libéraux, ça coûte beaucoup plus cher qu'en France. Et j'avais une famille, il fallait bien que je paye mes traites, etc. Donc je me suis retiré du marché pendant un an. Donc il a fallu que je prépare le budget. Et avant de faire ça, pour préparer mon coût, ce que j'ai fait, 2 choses. Je me suis informé sur le marché, j'ai parlé à beaucoup d'agents pour savoir quel était le niveau qui était en demande. Et c'était à l'époque, il y a 5 ans, minimum master et un doctorat, encore mieux. Parce que surtout à l'époque, il y avait énormément de projets de R&D. Et pour ça, il faut avoir un doctorat plutôt. Donc la barre minimum à l'époque, ce n'était pas les cours Coursera, ce n'était pas Udacity, ce n'était pas toute cette offre qui est très intéressante, mais ce n'était pas suffisant pour mettre un pied à l'étrier à l'époque.
Donc, ce que j'ai fait, j'en ai fait beaucoup des cours Coursera, des cours Udacity pour préparer mon master. Parce que quitte à investir un an, de un, je voulais être sûr que ça allait me plaire et de deux, je voulais maximiser mes notes. Parce que dans un système libéral, c'est bien d'avoir un diplôme. C'est important d'avoir une très bonne note à son diplôme, contrairement à la France, parce que le système fonctionne un peu à l'inverse. Mais peu importe. Donc je suis ressorti avec une mention très bien, c'est ce que je voulais, avec une publication dans un journal officiel aussi en intelligence artificielle. Mais pour arriver à ce niveau là, il a fallu que je me prépare énormément en amont. Et c'est ce que j'ai fait pour maximiser mes chances à la sortie. Et ça a payé.
Et à la sortie, du coup, comment ça s'est passé pour la recherche d'emploi ?
À la sortie, j'ai été surpris par un phénomène auquel je ne m'attendais pas. Lorsqu'on lit beaucoup de magazines spécialisés de business ou même d'informatique, on nous dit « Fait de la reconversion, c'est très bien, vous allez voir pour votre carrière, etc. » On a des besoins dans ces domaines. Maintenant, quand on se frotte au marché réel, on peut se retrouver dans une situation, dans une forme de no-man's land. Ça peut arriver et ça m'est arrivé à moi parce que dans mon cas particulier, j'avais 20 ans d'expérience en tant que développeur donc j'étais senior. Mais en même temps, j'étais junior en data science.
Donc, les ressources humaines étaient un petit peu perdues là-dedans. Quel salaire devaient-elles me donner ? Quelles responsabilités devaient-elles me donner ? Donc, j'ai dû accepter, et là, je vais être complètement franc, une baisse de salaire extrêmement importante. J'ai divisé mon salaire par 2 pour pouvoir repartir, on va dire, à zéro. Évidemment, mon salaire a augmenté après, c'était le but aussi. Mais il fallait accepter cette première marche parce que de toute façon, si je n'avais pas accepté, j'aurais très certainement eu un problème de toute façon vers l'âge de 50 ans et je me serais retrouvé dans du chômage long. Comme on le connaît, c'est la pire des choses. Donc, il valait mieux, pour moi en tout cas, dans ma logique, accepter une retraite pour gagner la guerre de long terme.
Effectivement, quand on est en reconversion, il y a ce paradoxe d'une expérience longue, mais à être un peu plus junior sur son poste...
On n'a pas encore l'habitude de ce type de profil. Et donc, il faut vraiment bien se préparer au niveau de l'argumentaire lors des entretiens. Et surtout, quand on arrive quand même à 40 ans et ça se voit, on commence à avoir des cheveux gris. Il faut bien appuyer sur le fait qu'on soit flexible. Et dans mon cas, c'était relativement simple. Je pouvais le prouver à travers mon CV, à travers le fait que je m'étais remis à passer des diplômes tout au long de ma vie, plus énormément de cours semi-professionnel, ce qui permettait d'appuyer cet argument là. Mais c'était quand même pas évident à vendre, je dois l'avouer.
Et comment tu y es parvenu ?
À force de faire des entretiens, à force de vous voir où est ce que les gens tiquaient, ce qu'ils appréciaient, ce qu'ils appréciaient moins. Il y a par exemple aussi, ça c'est très particulier, mais parce que je venais de la banque, surtout de la banque d'investissement, il y a une startup qui m'a dit « Mais vous ne savez que travailler de toute façon que dans des environnements où il y a du marbre au mur et des moquettes épaisses au sol. Vous ne savez pas ce que c'est qu'une startup. » J'étais là « Oui, en effet, je ne sais pas ce que c'est qu'une start up, mais j'ai eu mes difficultés aussi qui peuvent être complètement transférables. » Donc, il faut savoir s'adapter aux entretiens et à travers cet entraînement, développer son argumentaire pour ensuite trouver celui qui fait mouche. Et en général, ça prend, je dirais, entre 5 et 10 entretiens pour vraiment bien s'aiguiller et pour devenir ensuite imbattable, parce qu'on a déjà la réponse à toutes les questions.
Tu as rejoint ce podcast parce qu'effectivement, tu en as écouté d'autres. Qu'est-ce qui t'a plu dans les autres témoignages ?
Oui, alors oui, exactement. J'en ai écouté 2 récemment et je continuerai d'écouter les autres qui vont arriver, parce que je suis branché LinkedIn avec toi, donc je reçois des petits updates, ce qui est super. Donc, ce qui m'a vraiment intéressé, c'est en fait de voir que, de un, je ne suis pas le seul sur la planète à faire des choses qui sortent des sentiers battus, du style business school à la française ou à l'école d'ingénieurs, qui sont d'ailleurs très bien, il n'y a rien à en redire, mais on peut aussi arriver à faire une carrière très épanouissante en prenant des risques. Et de 2, ce qui m'intéresse aussi dans les podcasts, c'est de savoir qu'est ce que les autres ont fait, quels ont été leurs choix, quelles ont été leurs logiques. Parce qu'elle est très certainement différente de la mienne et elle est très certainement très bonne aussi, mais vue d'un autre angle. Et quels ont été leurs choix dans leur type de reconversion, je veux dire au niveau des cours qu'ils ont pris, parce que je suis toujours intéressé par ça. Je suis toujours intéressé par les écoles et je vois qu'il y a eu dans les 10 dernières années une transformation très forte de l'offre sur le marché français, sur une forme d'apprentissage où même les grandes écoles et les universités commencent elles aussi à mettre la main à la pâte.
Et ce serait temps, je dirais, parce que franchement, il faut qu'on le fasse. Mais aussi beaucoup d'instituts, on va dire qui viennent de Microsoft ou d'autres grandes entreprises qui vendent ce type de produit. Et je crois que c'est très bien et c'est très bienvenu parce qu'on ne peut pas avoir une poche énorme de demandes d'emplois et une poche d'offres tout aussi énorme, et ne pas pouvoir transvaser l'un vers l'autre. C'est ridicule.
Avec le recul, quelle différence est-ce que tu vois entre la formation, le recrutement en France et en Angleterre ?
J'ai fait des études franco-britanniques à la base, donc c'était pour moi beaucoup plus simple de migrer vers l'Angleterre. Mais j'ai migré vers l'Angleterre parce que j'étais assez déçu de l'attitude française à l'époque, ça a peut être changé, mais là, on parle d'il y a à peu près 30 ans, envers des étudiants qui sortaient de la faculté, comparé à ceux qui sortaient des écoles d'ingénieurs et écoles de commerce. Ca s'appelait un IUP, un des premiers diplômes d'universitaire professionnel, qui te donnait un niveau de maîtrise. Mais une fois que tu te retrouvais sur le marché, en France, tu étais vraiment relégué à la dernière place, les entretiens n'arrivaient pas, etc. Alors que je n'ai pas vu ça dans les pays anglo-saxons qui sont beaucoup plus méritocratiques, basés sur tes compétences plus que sur d'où tu viens. Et bien que ça ne soit pas complètement vrai au top du top, mais de manière générale, pour le commun des mortels, on peut vraiment trouver sa place à partir du moment où on met suffisamment de travail et suffisamment de volonté.
Les lignes bougent en France, on le voit avec le sujet de la reconversion, mais il y a encore du chemin à faire. Mais peut être aussi en Angleterre ?
Pas vraiment, parce qu'au contraire, lorsque j'ai commencé ma formation de développeur en Angleterre, je n'avais absolument aucune formation du tout de développeur. Ce qu'ils ont remarqué, c'est que j'étais capable d'apprendre et très vite, ils m'ont donné des responsabilités. J'ai appris tout sur le temps. Évidemment, je ne travaillais pas 35 heures par semaine, j'étais plutôt à 90 heures par semaine pendant plusieurs années. Je ne posais pas de questions et je faisais ce que j'avais à faire. Mais à un moment donné, il faut se poser la question, si on veut y arriver, c'est un petit peu comme les joueurs de l'équipe de France, il faut y aller. Je veux dire, il faut s'entraîner, c'est des heures de travail. Il faut faire un choix et c'est le choix que j'ai fait. Et les économies libérales en général, il y a toujours des exceptions, mais en général sont en ligne avec ce type d'état d'esprit et aident les gens qui veulent y arriver. Dans une certaine mesure, il faut beaucoup s'aider soi-même, mais il y a moins de barrières à l'entrée.
Est-ce que tu aurais un conseil pour ceux qui envisagent une reconversion ? A fortiori pour ceux dans la quarantaine ?
Dans la quarantaine, a fortiori, bien réfléchir, surtout à ce que j'ai dit initialement, parce qu'il peut y avoir des barrières à la sortie de la reconversion. Choisir un domaine qui sera viable si on veut travailler en France, on va dire, sur la durée. Parce que bon, si on a 40 ans, il faut qu'on travaille jusqu'à grosso modo 67 ans, quelque chose comme ça. Donc il faut que ça tienne à peu près sur 30 ans. Donc, c'est difficile, évidemment, à prévoir sur 30 ans, déjà 10 ans à l'avance. Prendre une reconversion où peut-être on puisse se reconvertir encore, c'est-à-dire pas prendre quelque chose de trop général, mais prendre quelque chose de plutôt un petit peu scientifique, un petit peu de l'informatique.
Si on compte travailler tard, surtout, pour moi, une reconversion, je crois que ça dure à peu près une dizaine d'années. Ensuite, il faut peut être penser à en refaire une. Peut-être, pas forcément, mais au moins y penser. Donc toujours être sur le qui-vive, toujours être à l'écoute du marché et au moment où le marché ne tient plus, parce qu'on a pris une décision qui n'est pas la bonne, ça peut arriver, ne pas hésiter à se remettre en question et à recommencer le chemin, s'il faut.